monologue Jacques II

Publié le par boxon

Elle sait. Elle sait ? Elle m'aurait pas appelé, sinon. Elle m'appelle jamais, d'habitude. Et là... comme par hasard... elle a maigri, la frangine. Vieilli, aussi. Comme moi, sans doute. Comme Abdénor. On vieillit vite, dans la famille. Et mal. Y'a qu'à voir son visage. Ou mes mains. Même Abdénor, il vieillit. Il le cache, parce qu'il a les moyens, mais il vieillit. Et je parle même pas des vieux... ça fait tellement longtemps. Ça fait... pffff... longtemps. Même pas sûr qu'ils me reconnaîtraient si... si quoi ? Si je les recroisais ? La bonne blague. Les croiser... je me demande comment ils vont. Mal, apparemment. Comme tout le monde. Et difficile d'aller mieux quand on passe son temps à empiler des capsules de... j'aurais dû prendre une bière. L'habitude... une bière, ça fait moins alcoolique, non ?... de toute façon, c'est trop tard... ses yeux.... mon dieu... on dirait mes mains. D'ailleurs, elle arrête pas de les mater, depuis tout à l'heure, mes mains. On dirait.... elle guette le tremblement, ou quoi ?... bah... chacun se console comme il peut... elle a dû en voir trembler, pourtant, des mains. Abdénor m'a dit que son mari... comment il s'appelle déjà, celui-là ? Marc ? Jean-Yves ?... quelle importance, de toute façon ? Il a un sale goût, ce whisky. C'est déjà triste d'être alcoolique, alors si en plus il faut boire de la merde... alcoolique et fauché, tu dois bicher, Suzette. Ça doit te faire plaisir, de les voir trembler, mes mains. Ce n'est que justice, non ? À moins que... à moins que tu regarces mes mains parce que t'oses pas me regarder dans les yeux... t'as peur de parler, peur que ça t'échappe ? Peur qu'il l'apprenne ? Peur d'Abdénor ?... pas faux. T'as toutes les raisons, d'en avoir peur, après tout. C'est pas l'instinct familial qui l'étouffe, lui. Et, même si elle a jamais trop rien su, pour Marie-Jeanne, elle doit bien se douter... mais elle craint rien. Qu'il dit. Après, de là à le croire... pas sûr que ce soit de la peur, en fait... non, elle a pas peur... elle le méprise trop pour en avoir peur. Et elle le connaît pas assez, aussi. Elle le connaîtrait vraiment... parle d'autre chose, t'as raison... de toute façon, moi aussi, je sais. Le frangin m'a dit. Mais même s'il avait rien dit... ça se voit. Ça se sent. Et puis, les secrets, on est habitué, dans la famille. On les voit venir. Et celui-là, vu sa taille, il était dur à cacher. Marie-Jeanne...plus de vingt ans sans nouvelles, et paf !, tout à coup, elle revient. Enfin, elle revient... dur de revenir d'où elle est... mais le gamin s'en est chargé pour elle. Un gamin... alors qu'on ne savait même pas si elle était encore... un gamin... deux, même, d'après Abdénor. Pas facile à encaisser. Ça ne m'étonne pas qu'elle préfère regarder mes mains. Regarde les tiennes, plutôt. Regarde tes mains, Suzette. Elles tremblent encore plus que les miennes. Le poids de la famille, faut croire... tout le monde a pas la carrure pour supporter sans trembler des mains. Ou sans boire. Ou sans stylnox... elles tremblaient pas ses mains, au frangin, quand il a reçu la nouvelle. Elles tremblent jamais, de toute façon. Pas le droit. Salut Frangin, qu'il me dit. T'as un nouveau neveu, tonton Jacques. Deux nouveaux neveux, même. Camille et Baptiste, qu'ils s'appellent. Qu'il me dit. Cmme ça, de but en blanc, un matin. Avant même que j'ai le temsp de commander mon premier whisky. Il tremble jamais, le frangin. Mais il se prive pas pour faire trembler les autres... deux neveux. Mes neveux ? ... c'est aussi les tiens, mon coco. Tonton Abdénor... tu connais ? Qu'il me demande. Tu le connais, ce Camille ? Non. Et lui non plus, il le connaissait pas, avant ce fameux coup de fil. Personne te connaît, Camille. Et tu connais personne. Surtout pas ta famille. Et je sais pas si tu fais bien d'essayer... pas sûr que t'apprécie le tableau. La grand-mère défoncée aux médocs, le grand-père derrière les barreaux, la mère six pieds sous terre après un lourd passif au tapin, un tonton qui se prend pour le Parrain, et qui s'en sort pas si mal, l'autre qui boit du whisky à 10 heures du mat pour oublier qu'il est véreux....

Publié dans ébauches diverses

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